Depuis 2010, la rupture : la boule dans la joue.
En 2010, Chupa Chups décide de (re)lancer son produit phare, la sucette, sous un angle « adulte ». Chupa Chups amorce la création et la conquête d’un nouveau marché « la sucette pour adulte ». Le produit est ainsi « marketé » pour cette cible : en réduisant la tige et la taille, la mini sucette devient une sorte d’en-cas ou gourmandise à grignoter au travail ou chez soi. L’idée est la même en 2016 lorsque Chupa Chups lance la mini-sucette « expresso » dont l’ambition est de remplacer la pause café.
L’agence DDB Paris imagine alors une campagne et la décrit ainsi : « En mettant en scène des icônes de l’univers enfantin dans des visuels drôles et impactants, cette campagne pour les Mini Chupa Chups crée un parallèle entre le produit et ces figurines transgénérationnelles et véhicule de manière instantanée et émotionnelle l’idée de “mini sucette pour mini personnes”
On notera qu’elle insiste sur l’aspect « icones » de la jeunesse des consommateurs-rices visé-e-s. En aucun cas l’aspect « érotisme » ou « pornographie » n’est affiché. C’est bien normal mais il est tout aussi légitime de penser que cet élément a été un facteur de « buzz » important et recherché.
Le sexe bien présent, mais le sexisme ?
Des jouets genrés donc des personnages principaux qui le sont
La sexualité affichée : sexiste ou pas ?
Barbie est l’icône de beauté par excellence et objet de désir et de fantasmes de la part des deux sexes. Un trait récurrent de la pornographie ou de l’imaginaire sexuel masculin, dans la perspective d’un jeu de soumission/domination, est l’ingénuité du partenaire (souvent une fille), corrélée à ce fantasme ultime : la virginité.En associant donc une sucette à la figure de Barbie, et en soulignant visuellement la boule dans la joue (autre image répandue de l’iconographie pornographique), l’évocation sexuelle est de facto présente. Qu’elle ait été volontaire ou non.
Barbie devient donc dans cette publicité une allégorie sexuelle, et en tant que telle c’est bien une représentation sexiste qui est présentée de la figure féminine : nous sommes face ici à un visuel d’une femme objet sexuel.
Néanmoins, il ne faut pas oublier que l’autre affiche (et donc l’autre personnage principal), Action Man, est soumis au même traitement « boule dans la bouche » : accentuant là aussi sa sexualisation.
On pourrait ainsi croire que comme les deux personnages, féminins et masculins, sont traités de la même manière, le sexisme n’est plus. Mais, au contraire, cela rend la publicité doublement sexiste puisqu’elle présente deux personnages, femmes et hommes, comme des objets sexuels..
2016 : Nouveau volet de la saga : les figurines de l’enfance laissent place à une figure d’adulte
Jusqu’en 2016 pourtant, l’utilisation des figures « jouets » pouvait atténuer le sexisme apparent des affiches. Mais, en juillet, la marque lance « Chupa chups mini expresso » dont l’ambition est de remplacer la fameuse « pause café »**. Et en termes de communication, c’est un nouveau visuel qui fait son apparition, dans la lignée des précédents… mais avec le visage d’une (vraie) femme. Celui-ci occupe toute l’image et place en son centre la bouche féminine, de laquelle sort une touillette, prolongé par la désormais incontournable « boule dans la joue ». Noter, à l’heure où s’écrit cet article, aucun visuel « homme » n’a été diffusé par la marque.
Avec le passage d’une figure « jouet » à un visage « vrai », l’impact et la connotation sexuelle est flagrante, et, partant, véritablement assumée. Le plaisir buccal apporté par une sucette « expresso » est tout simplement associé au plaisir sexuel. D’une part pour les hommes il évoque le fait que sucer une de ces sucettes peut faire ressentir un plaisir égal à une fellation, et pour les femmes… et bien, outre leur mise en position d’activatrice de plaisir sexuel, elles ne sont pas particulièrement visées. Sauf à penser que la fellation est un plaisir partagé par toutes les consommatrices de chupa chups.
Enfin, plus que sexualiser et « sexister »* un visuel, Chupa chups devient donc une marque normative en termes de sexualité puisqu’elle semble, a minima, indiquer que la fellation est une pratique qui ne peut relever que du plaisir.
Sucer : un défi publicitaire ?
Patatra, en 2015*** et 2016, la marque retombe dans l’écueil (et la facilité créative désormais éculée) du plaisir buccal lié à l’activité sexuelle (cf le visuel expresso ci-dessus).
Alors, publicitaires de tous les pays, unissons-nous pour combattre le sexisme et convaincre les directions marketing qu’innovation et créativité sont toujours plus pertinentes que facilités créatives et ressorts sexuels éculés…
*Sexister : rendre quelque chose/quelqu’un sexiste
** Et pendant ce temps, en Suisse, « le café pipe » fait son apparition…
*** En 2015 déjà une publicité explicite pour Chupa Chups « for adults only » utilisait les codes du « peep show pour capitaliser sur la signature de la campagne “réservé aux adultes”» (dixit l’agence Grey).